Introduction : Une différence culturelle au cœur de l’urgence
En juillet 2009, j’ai eu l’opportunité de diriger une délégation de six sapeurs-pompiers de Paris en Bavière pour participer à une série de manœuvres internationales.1 Aux côtés de pompiers allemands, autrichiens et suisses, nous avons confronté nos méthodes d’intervention à travers douze exercices, dont trois impliquaient des feux réels.2 Cette expérience a révélé des divergences fondamentales dans les tactiques de sauvetage, particulièrement entre les pompiers parisiens et leurs homologues munichois. À travers ces différences, se dessinent des choix philosophiques et culturels sur la façon de donner la priorité donnée à la vie humaine et aux moyens de lutte contre les incendies.
1. Paris : Sauver avant tout
La devise des sapeurs-pompiers de Paris, « Sauver ou périr », résume à elle seule leur approche. Depuis 1942, cette philosophie guide chaque intervention. Lorsqu’une vie humaine est en danger immédiat, le pompier parisien privilégie le sauvetage direct, quitte à engager des actions avant même d’établir les moyens hydrauliques nécessaires à l’extinction. Pour le sapeur-pompier de Paris, le sauvetage est ainsi une « opération visant à soustraire d’un péril direct une personne qui se trouve dans l’incapacité de s’y soustraire d’elle-même et qui, sans aide extérieure, serait vouée à une mort certaine3 ». Il est admis que « les sauvetages (…) sont facilités par l’arrivée de l’eau4 », mais le sauvetage est prioritaire : les lances sont établies simultanément s’il y a du personnel en nombre suffisant. La priorité est claire : soustraire une personne à un péril certain, même si cela expose le sauveteur à des risques importants.
Cette pratique s’appuie sur une définition du sauvetage comme un acte où la prise de risque est au cœur de l’action. La culture parisienne valorise ces gestes courageux, largement documentés dans l’histoire des sapeurs-pompiers parisiens et encore récompensé aujourd’hui par des médailles comme la médaille pour acte de courage et de dévouement. L’intervention est souvent perçue comme un combat direct contre les éléments, où le pompier pourrait être vu comme le héros prêt à sacrifier sa sécurité pour autrui.
2. Munich : La sécurité avant tout
À Munich, l’approche est fondamentalement différente. Avant de pénétrer dans un bâtiment en feu, les pompiers s’assurent que les moyens en eau sont pleinement opérationnels. Même si une personne est en danger immédiat, établir une lance reste la priorité. Cette méthode, jugée incontournable par les pompiers munichois, reflète une vision pragmatique : sans moyens hydrauliques, l’intervention est considérée comme irresponsable.
Cette stratégie est le produit d’une culture qui valorise la méthode et la sécurité collective. Plutôt que de se reposer sur des actes individuels d’héroïsme, les pompiers munichois insistent sur la coordination, l’organisation et la réduction des risques pour leurs équipes. L’objectif est d’assurer des interventions durables, même au détriment de la spontanéité et de la vitesse dans certaines situations critiques.
3. Une divergence philosophique et culturelle
Les différences entre Paris et Munich ne relèvent pas seulement de tactiques opérationnelles, mais traduisent des visions profondément enracinées dans leurs cultures respectives. À Paris, l’accent peut ponctuellement être mis sur l’individu et son rôle central dans l’intervention. Le héros est valorisé, son engagement personnel célébré. Cette approche trouve ses racines dans l’histoire des pompiers parisiens, façonnée par une instrumentalisation de figures héroïques comme le caporal Thibault et des cérémonies en mémoire des morts au feu. Elle s’explique aussi par la jeunesse des pompiers de Paris : jeunes et en pleine forme, ils peuvent pousser la prise de risque plus loin et donner l’impression qu’elle est inconsidérée. En réalité, elle est maîtrisée.
En revanche, Munich privilégie une approche collective et méthodique. L’efficacité de l’équipe et la minimisation des risques priment, surtout dans un environnement où les pompiers sont en moyenne beaucoup plus vieux qu’à Paris. Cette stratégie reflète aussi une tradition allemande d’organisation rigoureuse et d’importance accordée à la structure. Elle s’inscrit également dans une perception différente de l’héroïsme, où la réussite de l’équipe prévaut dans tous les cas sur l’action individuelle.
4. Quels enseignements pour aujourd’hui ?
Ces deux approches, bien que divergentes, apportent chacune des enseignements précieux. À Paris, la primauté donnée au sauvetage direct souligne l’importance de l’audace dans les situations où chaque seconde compte mais ne doit pas faire perdre de vue le fait que la prise de risque, en réalité, est mesurée. À Munich, l’accent mis sur la sécurité et la préparation montre la valeur d’une organisation méthodique pour limiter les pertes humaines et matérielles.
Ces divergences nous rappellent que les choix tactiques ne sont jamais neutres : ils reflètent des priorités culturelles, sociales et même philosophiques. Pour les pompiers d’aujourd’hui, confrontés à des défis croissants, combiner ces approches pourrait offrir une réponse équilibrée, alliant courage et prudence.
Conclusion : Une richesse dans la diversité
L’expérience vécue en Bavière en 2009 a permis de mieux comprendre ces différences fondamentales. Plus qu’un simple écart dans les tactiques, elles révèlent des visions distinctes de l’intervention et de l’engagement. Elles traduisent aussi des réalités RH différentes. En valorisant ces perspectives, les sapeurs-pompiers, qu’ils soient à Paris, Munich ou ailleurs, peuvent enrichir leurs pratiques et, ultimement, mieux protéger non seulement les vies qu’ils s’efforcent de sauver, mais aussi la leur.
- Nicolas Folio, Rapport de mission n° 356-09/15ème Cie/NF du 31 juillet 2009, Champigny-sur-Marne. ↩︎
- Les exercices se déroulent majoritairement avec des fumées froides pour simuler les conditions d’un véritable feu. Certains exercices, dits « feux réels », se déroulent dans des bâtiments désaffectés avec de véritables feux produits en respectant des normes de sécurité. Cela permet de confronter les pompiers à des conditions très proches de la réalité de l’intervention (chaleur, manque de visibilité, etc.). ↩︎
- Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, BSP 118.1 : règlement sur l’organisation et le fonctionnement du service d’incendie et de secours, BSPP, Paris, 2012, p. 167. ↩︎
- Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, BSP 200.12 : les sauvetages et mises en sécurité, BSPP, Paris, 2009, p. 4. ↩︎