Déchiffrer l’écriture gothique allemande : entre tradition et intelligence artificielle

L’étude des sources manuscrites en allemand du XIXe siècle représente un défi particulier pour tout historien qui, comme moi, s’intéresse à l’évolution de l’identité et du rôle des pompiers en Bavière. Ce défi repose en grande partie sur la nécessité de maîtriser l’écriture gothique manuscrite, en particulier les styles Kurrent et Sütterlin, qui dominent les documents de cette époque. Cet apprentissage s’avère indispensable pour accéder aux archives et mener des analyses fines sur le contexte historique de mes recherches.


L’apprentissage de l’écriture gothique : une double approche

Plutôt que de me reposer uniquement sur des outils automatisés, j’ai choisi une approche combinée : un apprentissage méthodique à travers un manuel spécialisé et l’utilisation d’une intelligence artificielle capable de transcrire automatiquement les documents.

Le recours à un manuel spécialisé

Pour comprendre et interpréter ces textes, j’utilise Deutsche Schreibschrift – Kurrent und Sütterlin lesen lernen1, un ouvrage de référence qui permet d’acquérir progressivement les compétences de lecture. Ce livre propose une approche didactique en présentant des alphabets comparés, des exercices de transcription et des exemples concrets tirés de documents historiques.

L’un des premiers enseignements que j’en ai tirés est la nécessité d’un travail d’observation minutieux. Chaque scribe a son propre style, et certaines lettres peuvent varier considérablement selon l’auteur ou l’époque. Le « s » long, les lettres « e » et « n » souvent confondues, ou encore les abréviations propres aux documents administratifs constituent autant d’obstacles nécessitant un œil entraîné.

Tableau comparatif des graphies

L’ouvrage propose un tableau permettant de comparer les différentes graphies possibles pour une même lettre selon l’époque et le style de l’écriture. Ce tableau est un outil essentiel pour identifier des variations subtiles qui pourraient induire en erreur un lecteur non averti. Voici un extrait significatif de ce tableau :


L’intelligence artificielle au service de la transcription

Si l’apprentissage manuel est essentiel, l’intelligence artificielle permet d’accélérer considérablement le processus de transcription. J’ai ainsi recours à Transkribus, un outil d’intelligence artificielle spécialisé dans la reconnaissance des écritures anciennes. Ce logiciel propose un modèle de reconnaissance spécifique à l’allemand gothique et permet d’obtenir une première transcription brute d’un document. Toutefois, ce travail reste imparfait et nécessite une intervention humaine pour corriger les erreurs, particulièrement lorsque le manuscrit est altéré ou lorsque l’écriture est irrégulière.

Loin d’être un simple assistant passif, Transkribus me permet de concentrer mon attention sur les passages les plus complexes, évitant ainsi une lecture laborieuse ligne par ligne. En comparant la transcription automatique avec le texte original, je peux affiner mon regard et mieux comprendre les subtilités de l’écriture gothique.


Avant / Après : l’importance de l’intervention humaine

Afin d’illustrer les limites actuelles de l’intelligence artificielle, voici une capture d’écran montrant une transcription réalisée avec Transkribus. La capture montre le document après le premier passage de l’outil.

Comme on peut le voir, certaines lettres sont mal reconnues voire omises, et des confusions apparaissent dans les mots les plus complexes.

Après correction, le texte devient nettement plus lisible et fidèle au document original. Ce processus confirme que l’intervention humaine est indispensable pour garantir une transcription exacte.


L’alliance entre l’humain et la machine

Loin d’opposer apprentissage traditionnel et intelligence artificielle, cette expérience m’a convaincu que les deux approches sont complémentaires. Le manuel offre la rigueur et la compréhension du système d’écriture, tandis que l’IA facilite le travail de transcription en fournissant une première version exploitable.

Toutefois, une dépendance totale à l’intelligence artificielle serait illusoire. Les modèles de reconnaissance, aussi puissants soient-ils, commettent encore trop d’erreurs pour être utilisés sans vérification. L’intervention humaine reste indispensable pour interpréter correctement le sens des textes, notamment lorsque ceux-ci comportent des nuances sémantiques ou des références historiques particulières.


Perspectives et enjeux

L’intégration des technologies de reconnaissance de texte représente une avancée significative pour les historiens et les chercheurs en paléographie. Cependant, la maîtrise des écritures anciennes demeure une compétence clé, ne serait-ce que pour comprendre les erreurs de transcription automatique et les corriger efficacement. Dans mon cas, cette maîtrise me permet d’exploiter pleinement les archives municipales bavaroises et d’accéder à des sources encore largement inexplorées.

En fin de compte, l’étude de l’écriture gothique allemande illustre bien le dialogue nécessaire entre tradition et modernité dans les sciences historiques. Si l’IA permet de surmonter certaines contraintes techniques, la compréhension profonde de l’écriture manuscrite reste un savoir-faire irremplaçable pour l’analyse des sources historiques.

  1. Braun, Manfred. Deutsche Schreibschrift: Kurrent und Sütterlin lesen lernen ; handschriftliche Briefe, Urkunden, Rezepte mühelos entziffern. Knaur, 2015. ↩︎

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