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Pompiers professionnels, volontaires et artisans du feu : une organisation hybride

À la lecture de la Feuerlöschordnung de 1858 pour la ville de Munich, un constat s’impose : les pompiers ne forment pas un corps unique, clairement défini et homogène. Au contraire, la lutte contre l’incendie repose sur une organisation composite, mêlant agents municipaux, ouvriers artisans réquisitionnés, volontaires et personnel technique. Loin d’être un signe de désorganisation, cette hybridité constitue une réponse rationnelle à la réalité urbaine de l’époque.

Ce modèle mérite attention : il éclaire la transition vers la professionnalisation du métier de pompier au XIXe siècle et illustre parfaitement les dynamiques identitaires complexes que ma thèse entend analyser.


Une répartition fine des rôles

La Feuerlöschordnung distingue plusieurs catégories d’intervenants, aux statuts et aux responsabilités bien définis.

1. Les ouvriers municipaux permanents

Ils constituent la base de la force d’intervention :

  • 160 travailleurs affectés au Stadtbauwesen
  • 22 hommes de garde chaque nuit dans la principale maison du feu (Feuerhaus am Anger)
  • Tous mobilisables immédiatement en cas d’alerte, de jour depuis les chantiers, de nuit depuis leur domicile (§ 23)

Ils sont placés sous la direction des Werkmeister municipaux et mobilisés pour :

  • Conduire les pompes
  • Manier les tuyaux
  • Monter les échelles
  • Participer aux exercices obligatoires (au moins trimestriels)

2. Les artisans réquisitionnés : maçons et charpentiers

Organisés en compagnies tournantes, ces professionnels doivent fournir :

  • Un contingent annuel défini en janvier
  • Composé d’ouvriers sous la direction d’un Palier (contremaître)
  • Distinctement identifiés (bande bleue et blanche au bras) (§ VIII)

Leur présence sur les lieux de l’incendie est obligatoire dès l’alerte signalée par les vigies. Ils sont utilisés pour :

  • Démolir des murs menaçant ruine
  • Dégager des passages
  • Installer les échelles de secours

Ils reçoivent une indemnité horaire, doublée de nuit. Leur action s’inscrit dans une logique d’utilisation temporaire d’un savoir-faire externe, sans pour autant créer un corps propre.

3. Les secouristes spécialisés

Deux compagnies de sauvetage sont constituées à partir de compagnons serruriers et menuisiers :

  • Vingt hommes par compagnie, sous les ordres d’un chef
  • Chargés d’évacuer les meubles et d’assister les personnes fragiles
  • Portent une bande rouge, symbole de leur fonction officielle (§ 33)

Leur mission n’est pas d’éteindre le feu, mais de limiter les pertes humaines et matérielles. C’est un exemple frappant de la segmentation des tâches dans une logique de rationalisation fonctionnelle.


Une logique de mobilisation adaptée : roulements et suppléances

L’ordonnance prévoit un système d’astreinte tournante pour les ouvriers municipaux, avec des règles précises :

  • Une garde de nuit en caserne, organisée à la semaine
  • Un système de relève planifié sur l’ensemble du personnel
  • Une présence obligatoire les dimanches et jours fériés
  • Une vérification quotidienne par un Werkmeister de l’état de sobriété et de présence

De même, les artisans mobilisables sont désignés à l’avance, et leur roulement est établi par le Magistrat. Leur participation est donc institutionnalisée, bien qu’ils ne soient ni employés ni rémunérés en permanence.

On observe ici une structure hybride mêlant :

  • Une base professionnelle municipale (salariés permanents)
  • Des acteurs extérieurs occasionnels, rétribués à la tâche
  • Des agents techniques spécialisés, formés à la manipulation d’équipements de secours (cordes, nacelles, sacs de sauvetage)

Proto-professionnalisation : entre discipline, spécialisation et visibilité

Le modèle décrit en 1858 à Munich n’est pas encore celui d’une brigade professionnelle autonome, comme celles qui émergeront à Berlin ou Paris au XIXe siècle. Cependant, plusieurs indices témoignent d’une professionnalisation en germe :

  • Obligation d’exercices trimestriels (pour tous les corps impliqués)
  • Supervision technique par un Stadtbaurat responsable de la compétence des hommes et de l’état du matériel
  • Distinctions vestimentaires normées selon le rôle de chacun (bras-band, lampes, fanions)
  • Inspections surprises de nuit pour contrôler la disponibilité réelle des veilleurs et du matériel
  • Récompenses pour les actions courageuses (jusqu’à 5 florins pour le premier tonneau d’eau amené sur les lieux)

L’engagement dans la lutte contre l’incendie devient visible, normé et valorisé. Cela confère une identité professionnelle émergente, distincte de la seule appartenance sociale ou artisanale.


Une hybridité qui interroge l’identité

Ce système mi-public mi-privé, mi-professionnel mi-volontaire, reflète une société urbaine dans laquelle le secours est à la fois un devoir civique, un métier technique et un acte moral. Cette coexistence de modèles est au cœur de l’identité du pompier bavarois du XIXe siècle, qui oscille entre le service et l’appartenance, entre l’institution et la communauté.

Ce phénomène se retrouve dans d’autres villes allemandes, notamment dans la montée des Feuerwehrvereine (associations de pompiers volontaires) à partir des années 1860. À Munich, en 1858, la ville reste maîtresse de l’organisation, mais externalise des fonctions clés, montrant ainsi une transition progressive vers une organisation spécialisée, sans rupture brutale.


Prochain article : comment signalait-on un incendie en 1858 ?

Dans le prochain article de cette série, nous explorerons les systèmes d’alerte mis en place à Munich en 1858 : fanions, lanternes, signaux sonores, et même un télégraphe galvanique sur le Petersturm… une ingénierie étonnante au service de la sécurité urbaine.

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