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Fanions, lanternes et tambours : comment signalait-on un incendie en 1858 ?

À une époque où ni téléphone, ni sirène, ni radio n’existaient, signaler rapidement un incendie était un enjeu vital pour les villes. Munich, en 1858, avait mis en place un système de veille et d’alerte d’une sophistication remarquable, combinant hauteurs stratégiques, codes visuels, signaux sonores et dispositifs télégraphiques.

Ce système d’alerte nous renseigne non seulement sur les moyens techniques de l’époque, mais aussi sur la perception du danger et la manière dont la ville cherchait à mobiliser ses forces et à informer sa population dans l’urgence.


Les vigies de la ville : Petersturm et Frauenturm

Le cœur du dispositif reposait sur deux points hauts :

  • Le Petersturm (tour Saint-Pierre)
  • Le Frauenturm (tour de la cathédrale Notre-Dame)

Chacune de ces tours abritait des Feuerwächter (gardiens du feu), en poste 24 heures sur 24, selon un roulement strict. Trois veilleurs étaient affectés à ces deux tours, avec une surveillance de nuit renforcée (double présence et relève toutes les 3 heures).

Leur rôle était de repérer tout départ d’incendie, en ville comme dans les faubourgs, et d’en donner immédiatement l’alerte.


Un langage codé : fanions, lanternes, sons

Les veilleurs ne se contentaient pas d’observer : ils transmettaient l’information au reste de la ville via un système visuel et sonore très élaboré, défini avec précision dans les articles 8 à 11 de l’ordonnance.

Cas n°1 : feu de cheminée

  • Signal sonore seul : un simple coup de feu avec le Feuerrohr (trompette d’alerte)
  • Pas de cloche, pas de signal lumineux
  • Objectif : éviter la panique, car ces feux étaient fréquents et souvent bénins

Cas n°2 : incendie de bâtiment

  • Son + cloche : coup de trompette + frappe de la cloche d’alarme
  • Signal visuel :
    • Jour : fanion
    • Nuit : lanterne
    • Rouge si le feu est à gauche de l’Isar
    • Vert si le feu est à droite
  • Deux fanions/lanternes : incendie dans la Résidence royale

Ce système permettait aux citoyens, comme aux intervenants, de localiser rapidement la zone du sinistre, sans nécessiter de déplacement immédiat.


Une innovation technique : le télégraphe galvanique

Munich disposait également, dès 1858, d’un télégraphe électrique installé au Petersturm, utilisé pour deux fonctions essentielles :

  1. Contrôler la vigilance des veilleurs (signal envoyé au magistrat dans la vallée)
  2. Transmettre instantanément une alerte au Feuerpiquet (détachement de secours) situé au Feuerhaus am Anger

Ce galvanischer Telegraph, encore rare à cette époque, permettait au Stadtbaurat résident de recevoir une information immédiate et localisée sur l’incendie. Le système utilisait :

  • Une cloche d’alarme électrique
  • Un code numérique de localisation (de 1 à 12 selon les quartiers, signalé par le nombre de coups de cloche)

Chaque signal devait être répété trois fois à cinq secondes d’intervalle.


Tambours et trompettes : faire lever la ville

Une fois le feu détecté, l’alerte ne se limitait pas aux agents municipaux.

Le règlement prévoit une mobilisation progressive :

  • Des tambours et clairons (Hornisten) partent de la Hauptwache
  • Ils traversent la vieille ville et les faubourgs (Sendlinger, Tal, etc.)
  • Ils frappent l’alarme (Alarm schlagen) ou soufflent l’appel au feu

Les soldats du régiment d’infanterie affecté à la garde incendie envoient un bataillon de tambours sur les lieux. Leur rôle est d’étendre l’alerte, mais aussi de mobiliser les curieux et les habitants, qui peuvent être requis pour participer à la lutte contre le feu.

Le bruit devient alors un vecteur d’urgence, de peur et d’ordre. Le feu, dans la ville, s’entend avant de se voir.


Les autres relais d’alerte

D’autres relais sont prévus pour amplifier le message :

  • Les sentinelles militaires tirent un coup de feu pour alerter leur entourage
  • Les cloches des églises de faubourg (Au, Haidhausen, Giesing) sont sonnées par les sacristains, informés par les Aufseher locaux
  • La population elle-même est invitée à courir porter l’alerte au poste de gendarmerie le plus proche

Une culture de l’alerte structurée

Ce système témoigne d’une culture de l’alerte très organisée, fondée sur :

  • L’observation constante
  • L’analyse différenciée du risque (feu de cheminée ≠ incendie majeur)
  • La transmission codée et publique de l’information
  • La coopération entre services (civils, militaires, religieux)
  • L’implication des citoyens, requis pour signaler, informer ou se mobiliser

Il révèle aussi une hiérarchie dans la perception du danger : feu noble (la Résidence), feu domestique, feu populaire — chacun avait son traitement.


Modernité et continuités

Ce système d’alerte préfigure les réseaux modernes de sécurité urbaine :

  • Anticipation du rôle des centres de coordination
  • Importance donnée à la rapidité de l’information
  • Intégration des technologies émergentes (télégraphe)
  • Gestion différenciée de la panique, de la communication de crise

Il s’inscrit dans une époque où la ville devient système, où l’urgence impose une structure collective de vigilance et de réaction.


Prochain article : où était le feu ? Les maisons du feu et la géographie des secours à Munich

Dans le prochain volet, nous verrons où étaient stockés les équipements, comment la ville était sectorisée pour optimiser la réponse, et comment chaque quartier disposait de sa propre « maison du feu » (Feuerhaus)… un maillage territorial au service de l’efficacité.

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