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Anger, Louisenstraße, Giesing : les casernes à Munich

Dans le Munich de 1858, les incendies sont une menace constante, et la ville s’organise pour y répondre avec efficacité. Cette organisation passe par un réseau de Feuerhäuser — des casernes ou centres de secours, mais littéralement des « maisons du feu » — réparties dans toute la ville. Ces bâtiments, à la fois dépôts de matériel et postes de coordination, incarnent une logique de territorialisation du secours bien avant l’institutionnalisation des casernes modernes.

L’ordonnance sur la lutte contre l’incendie (Feuerlöschordnung für die Haupt- und Residenzstadt München) détaille avec précision la répartition spatiale, les équipements et la gestion de ces maisons. Ce maillage territorial offre un éclairage précieux sur la manière dont une grande ville du XIXe siècle entendait organiser matériellement sa sécurité incendie.


Sept casernes principales

La ville dispose alors de sept Feuerhäuser réparties dans les différents quartiers et faubourgs :

  1. Feuerhaus am Anger (le plus important)
  2. Schulhaus Louisenstraße
  3. Schulhaus Frühlingsstraße
  4. Feuerhaus St. Annastraße
  5. Magistratsgebäude in der Au (bâtiment du tribunal de district, rive droite)
  6. Schulhaus Haidhausen
  7. Nebengebäude Schulhaus Giesing

Ces localisations couvrent le centre-ville et les faubourgs, à la fois sur la rive gauche et droite de l’Isar. Chacune dessert un district spécifique, sauf l’Anger, dont les équipements sont mobilisables pour toute la ville.

« Jedem derselben, mit Ausnahme des Feuerhauses am Anger […] bestimmte, die nächstgelegenen Straßen umfassende Distrikte zugewiesen. » (§ 2)


Matériel : un arsenal distribué

Le règlement énumère les ressources hydrauliques de la ville :

  • 9 Wasserzubringer (dispositifs de transport de l’eau)
  • 4 fixes (installés à demeure)
  • 37 puits publics adaptés pour le service incendie
  • 46 “Wasserwechsel (vannes de prise d’eau), identifiés par une plaque en tôle noire marquée d’un W

Ce matériel est réparti dans les casernes selon un plan précis. Les pompes, tuyaux, seaux, échelles, lanternes, cordages, haches et sacs de sauvetage y sont rangés avec soin.

Les équipements sont normalisés : les embouts, les filetages, les diamètres sont identiques d’un point d’eau ou d’un tuyau à l’autre, garantissant l’interopérabilité des moyens (§ 6).


Les Aufseher : gardiens de la ville

Chaque Feuerhaus est placé sous la responsabilité d’un Aufseher (gardien ou surveillant), souvent logé sur place. Il est chargé de :

  • Surveiller l’état du matériel
  • Entretenir les lieux (nettoyage, chauffage, éclairage)
  • Assurer la discipline des gardes (surtout à l’Anger)
  • Ouvrir les portes et superviser la sortie du matériel en cas d’alerte
  • Vérifier la restitution du matériel après l’incendie

« Nach gelöschtem Brande hat jeder Aufseher dafür zu wachen, daß alle Löschgeräthschaften wieder richtig zurückgebracht […] und jede wahrgenommene Beschädigung oder etwaigen Abgang sogleich dem Stadtbaurathe zur Anzeige zu bringen. » (Instruktion V, §8)

Leurs obligations sont strictes : un Aufseher ne peut quitter son poste de nuit, même pour une absence temporaire, sans confier la surveillance à un suppléant fiable.


Logistique : une mécanique bien huilée

La logistique d’intervention repose sur une planification rigoureuse :

  • À l’Anger, 4 chevaux sont attelés en permanence, jour et nuit, avec deux palefreniers prêts à partir.
  • Les autres centres de secours utilisent des chevaux fournis par des artisans ou meuniers selon des contrats de réquisition (Kegelmüller, Lohnkutscher, Stadtmüller).
  • Les ouvriers municipaux ou sapeurs temporaires transportent le matériel sur le lieu de l’incendie.

À l’Anger, 22 ouvriers de garde prennent le relais de nuit. Ils savent quelle pompe utiliser selon un ordre de sortie numéroté fixé et affiché.


Une histoire des infrastructures à écrire

Si l’ordonnance de 1858 ne détaille pas l’histoire de chaque bâtiment, elle nous permet d’en entrevoir la logique d’implantation :

  • L’Anger (ancien quartier artisanal central) était déjà, depuis le XVIIIe siècle, un lieu stratégique pour les secours.
  • Les écoles réutilisées (Louisenstraße, Frühlingsstraße, Haidhausen) témoignent d’un usage mixte des bâtiments publics, fréquente dans les villes allemandes du XIXe siècle.
  • Le Magistratsgebäude in der Au, affecté au tribunal, montre la volonté de mobiliser tous les bâtiments publics disponibles.

Les continuités peuvent être recherchées dans les plans d’urbanisme municipaux ou les archives des services techniques, qui permettront de suivre l’évolution des Feuerhäuser vers les casernes modernes.


Des casernes avant la caserne

Les Feuerhäuser de 1858 ne sont pas encore les casernes organisées que l’on verra apparaître dans la seconde moitié du siècle, dotées d’un corps permanent et d’un service 24h/24. Mais elles en sont la préfiguration logistique :

  • Matériel en stock
  • Personnel assigné
  • Districts desservis
  • Mobilisation rapide

Elles montrent que la lutte contre l’incendie est déjà pensée comme un service urbain structuré, spatialement rationnel et administrativement suivi.


Prochain article : Pompiers, chevaux et meuniers – la logistique mobile du feu

Dans notre prochain article, nous explorerons la dimension mobile du secours en 1858 : chevaux, palefreniers, réquisitions d’artisans, horaires de disponibilité… Comment une ville entière s’organise pour faire rouler ses secours jusqu’au lieu de l’incendie.

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