Pompier, appelle ton cheval !
En 1858, avant l’arrivée des véhicules motorisés, la logistique des secours incendie repose sur une ressource aussi précieuse que stratégique : le cheval. Sans lui, pas de transport rapide du matériel, pas de pompe mobile, pas d’acheminement efficace vers le feu. Dans la capitale bavaroise, les autorités municipales ont donc mis en place un système complexe, réparti et codifié pour mobiliser les chevaux à toute heure, avec des dispositions spécifiques pour les nuits, les dimanches et les jours de fête.
À la lecture de la Feuerlöschordnung für die Haupt- und Residenzstadt München du 10 novembre 1858, se révèle une logistique sophistiquée, mêlant service public, contrats privés et coordination d’appoint. C’est une formidable leçon d’ingénierie urbaine avant l’âge industriel.
Une caserne toujours prête : l’Anger et ses chevaux attelés
La caserne centrale de l’Anger est le pivot de la mobilité des secours. Elle dispose de 4 chevaux attelés en permanence, jour et nuit, avec deux palefreniers (Knechte) affectés à leur surveillance et à leur départ immédiat.
Ces chevaux sont installés dans le bâtiment municipal adjacent (Stadthaus), et ne quittent jamais la caserne la nuit.
« In dem dem Feuerhause am Anger zunächst gelegenen Stadthause stehen das ganze Jahr hindurch Tag und Nacht 4 angeschirrte Pferde nebst 2 Knechten bereit, um jeden Augenblick die Löschgeräthschaften abführen zu können. » (III.14)
Ils servent à tirer les pompes, les tonneaux d’eau, les échelles, et les charrettes de matériel dès qu’une alerte est donnée.
Le jour : une dispersion organisée
En journée, les chevaux ne restent pas en attente passive. Ils sont utilisés pour des travaux municipaux dans différents quartiers de la ville. Mais un protocole précis prévoit leur retour immédiat en cas d’alerte :
- Les 20 chevaux municipaux sont répartis entre deux sites :
- 18 à l’Anger
- 2 dans la caserne de l’Au
- Les palefreniers reçoivent pour consigne stricte : dès qu’ils entendent l’alerte incendie, ils doivent dételer immédiatement leur chargement et ramener les chevaux à la caserne.
« Die Knechte haben jedoch den Auftrag, bei entstehendem Feuerlärm sogleich auszuspannen und dem Feuerhause zuzueilen. »
Cette logique assure une réserve mobile de moyens de traction, mobilisable en quelques minutes, sans immobiliser inutilement les bêtes pendant la journée.
Une coopération imposée : brasseurs, meuniers et voituriers
Les casernes de quartier (Louisenstraße, Frühlingsstraße, St. Annastraße, Giesing, Haidhausen…) ne disposent pas en propre de chevaux permanents. Pour ces postes avancés, la ville organise des accords contraignants avec des professionnels.
Les brasseurs, meuniers, loueurs de chevaux sont tenus contractuellement d’envoyer des chevaux attelés à la caserne désignée lorsqu’un incendie est signalé. La Feuerlöschordnung nomme expressément :
- le Kainzmüller et le Kegelmüller pour la Frühlingsstraße
- des voituriers privés pour la Louisenstraße
- le Stadtmüller pour la St. Annastraße
« Auch sind die betreffenden Müller verbunden, bei entstehendem Feuerlärm zwei angeschirrte Pferde mit einem Knecht in das ihm zugewiesene Feuerhaus abzuschicken. »
Ces prestataires sont réquisitionnés, non pas à titre volontaire mais dans le cadre d’un engagement contractuel, probablement rémunéré a posteriori.
Des secours matériels, mais aussi humains
L’organisation prévoit également :
- Des voitures à bras tirées par les ouvriers pour les petites distances
- Des plateaux avec cordes et sacs pour l’évacuation des effets
- Des sapeurs tirant les pompes à la main dans les cas extrêmes (lorsque les chevaux manquent)
Cependant, l’efficacité des opérations repose largement sur la mise à disposition rapide des chevaux et de conducteurs expérimentés, capables de manœuvrer dans les rues encombrées, de nuit, souvent dans la panique.
Une vitesse d’intervention à géométrie variable
La notion de « temps de réponse » n’est pas formalisée, mais plusieurs éléments permettent de penser que Munich visait une intervention en moins de 15 minutes dans le centre :
- Des chevaux harnachés en permanence pour un départ immédiat
- Une répartition des casernes dans les différents quartiers
- Des codes visuels et sonores précis pour localiser le feu avant même le départ
Mais dans les faubourgs ou en l’absence de chevaux disponibles, le délai pouvait s’allonger fortement. La ville en était consciente et cherchait à pallier cela par une stratégie de redondance (plusieurs casernes, plusieurs sources de traction, rotation jour/nuit).
Une logistique pensée comme un système
Le recours aux chevaux, loin d’être improvisé, est intégré dans un système urbain rationalisé :
- Chevaux affectés (fixes et mobiles)
- Fournisseurs désignés
- Palefreniers et ouvriers affectés
- Procédures de retour, de garde et de déclenchement
Ce système, fragile par nature (fatigue, maladie des bêtes, lenteur en terrain difficile), préfigure déjà la pensée d’un service de secours intégré, dont l’efficacité dépend autant de l’organisation que de la vitesse des attelages.
Et après ? Vers la vapeur et le moteur
À la fin du XIXe siècle, les grandes villes européennes commenceront à expérimenter des pompes à vapeur, puis à l’aube du XXe, les premiers véhicules motorisés feront leur apparition. Mais en 1858, le cheval est encore roi — et sans lui, aucun pompier ne peut espérer lutter contre les flammes.
Prochain article : entre ordre et chaos – maintenir la sécurité autour d’un incendie
Dans notre prochain article, nous verrons comment Munich gérait la foule, le pillage, les curieux et la discipline autour d’un incendie : un défi autant logistique que sécuritaire, dans une ville où l’incendie attire autant qu’il menace.
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