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Truelles, seaux et haches : les objets du pompier munichois au XIXe siècle

Avant d’être un héros en uniforme, le pompier du XIXe siècle est d’abord un homme d’outils. Dans le Munich de 1858, les équipements de lutte contre l’incendie forment un univers matériel cohérent, abondamment réglementé, et porteur d’une véritable culture technique et professionnelle. L’étude de ces objets — leurs formes, usages, affectations — permet de mieux comprendre comment la ville se préparait à l’irruption du feu, et comment les hommes s’organisaient autour du geste de secours.

La Feuerlöschordnung n’est pas seulement un texte juridique. C’est aussi un inventaire raisonné d’outils, une sorte de catalogue opérationnel du pompier munichois. Ce matériel n’est ni symbolique ni décoratif : il est conçu pour durer, pour s’adapter, pour sauver.


Un équipement multiple, spécialisé et organisé

Parmi les nombreux objets évoqués dans l’ordonnance, plusieurs se distinguent par leur fonction précise et leur degré de sophistication.

Le Spritzrohr (lance à incendie)

Instrument principal d’extinction, la lance est connectée aux pompes manuelles ou aux réservoirs pressurisés. L’eau est projetée sous pression vers les flammes. L’ordonnance précise que tous les embouts doivent être standardisés et compatibles entre eux, signe d’un souci d’efficacité et d’interopérabilité (§ 6).

Le Wasserzubringer (approvisionneur d’eau)

Le Wasserzubringer désigne un appareil de transport ou de distribution d’eau, tracté ou fixe. Munich en possède :

  • 9 mobiles
  • 4 fixes (intégrés dans les rues)
  • 46 Wasserwechsel (vannes de prise d’eau sur les conduites, marquées d’un W noir sur plaque métallique)

Le Rettungssack (sac de sauvetage)

Fixé aux fenêtres supérieures, ce sac permet d’évacuer des personnes, notamment des enfants ou des blessés, par glissement vertical. Ce dispositif est confié à des ouvriers spécialement entraînés (sélectionnés parmi les plus habiles).

Les échelles et les machines de sauvetage

Souvent rangées sur des chariots attelés, les échelles sont utilisées à la fois pour accéder aux toits et pour extraire des personnes. Certaines sont dites mechanisch, munies de poulies ou de dispositifs de levage.

Seaux, cordes, sacs, haches

  • Seaux en cuir ou en métal pour le transport manuel de l’eau
  • Cordes et poulies pour stabiliser, évacuer, hisser du matériel
  • Sacs pour protéger les biens ou aider au transport
  • Haches, leviers, crochets pour ouvrir les passages, abattre des murs, forcer des portes

Ces outils sont conservés dans des chariots numérotés, affectés à chaque caserne et utilisés selon un ordre prédéfini affiché dans la salle de garde.


Entretien, inspection, réparations : une exigence de rigueur

L’ensemble du matériel est soumis à une vigilance constante.

  • Le Stadtbaurat et l’inspecteur des casernes sont responsables de la maintenance.
  • Chaque Aufseher de caserne doit vérifier l’état des objets après chaque incendie, et rendre compte immédiatement des pertes ou dommages.
  • Un inventaire annuel est réalisé et comparé avec le registre du magistrat (Inspektionsinstruktion, §3).
  • Toute pièce jugée défectueuse doit être réparée ou remplacée sans délai.

L’idée n’est pas seulement d’éviter les pannes : c’est aussi de garantir une culture de la préparation permanente. L’équipement devient un indicateur de la discipline du corps.


L’uniformisation : vers une rationalisation technique

Le règlement impose une uniformisation des filetages, des buses, des raccords, des dimensions de pompes et de conduites (§ 6). Cela permet :

  • De connecter n’importe quel tuyau à n’importe quelle pompe
  • De mutualiser le matériel entre casernes
  • D’accélérer les déploiements

Ce souci d’harmonisation technique anticipe les standards industriels. C’est un symptôme fort de la proto-professionnalisation du métier : il ne s’agit plus d’outils artisanaux isolés, mais d’un système intégré, pensé à l’échelle de la ville.


Un prolongement de la main : les objets comme marqueurs professionnels

Pour les pompiers et les ouvriers mobilisés, l’objet est bien plus qu’un outil. Il est :

  • Un symbole de compétence
  • Un vecteur d’identité professionnelle
  • Un élément d’appartenance (marques, affectations, règles d’usage)
  • Parfois même un vecteur de fierté et de distinction

Certains objets sont affectés à des corps spécialisés : les sacs de sauvetage aux ouvriers entraînés, les échelles aux menuisiers, les outils de destruction aux maçons. L’organisation par métiers renforce l’importance de la technique, valorise les gestes, et installe une logique de division fonctionnelle du secours.


Objets et culture du risque

Les objets de l’incendie disent beaucoup de la culture urbaine du risque à Munich :

  • Prévoir tous les cas de figure
  • Optimiser les transports
  • Former des hommes aux gestes justes
  • Respecter des procédures codifiées

Chaque outil est à la fois matériel et culturel. Il porte en lui un monde d’usages, de pratiques, d’habitudes, d’instructions, de savoirs tacites. Il est la trace tangible d’un corps de métier en gestation, entre obligation civique, spécialisation technique et reconnaissance sociale.


Prochain article : Discipline et répression – ce que risquait un pompier négligent

Dans le prochain article, nous verrons ce que prévoyait la réglementation contre les manquements, négligences, ou désobéissances : car à Munich, en 1858, un seau mal rempli ou un cheval en retard pouvait coûter très cher.

Nicolas Folio est doctorant à l’Université Paris Nanterre, sous la direction de Mme Pascale Cohen-Avenel. Sa recherche doctorale, centrée sur l’évolution de l’identité et du rôle des pompiers en Bavière au XIXe siècle, adopte une approche interdisciplinaire mêlant histoire, sociologie, science politique et études culturelles. Ancien officier de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, aujourd’hui chef d’un centre de secours à La Réunion, il met en regard ses connaissances empiriques et ses travaux historiques pour mieux comprendre les enjeux contemporains de l’engagement, de l’institutionnalisation et des représentations professionnelles dans les services de secours. Il publie régulièrement des articles sur son site personnel et sur les réseaux sociaux, et partage ses ressources avec la communauté scientifique.

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