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Défaillants, distraits et désobéissants : ce que risquaient les pompiers en 1858

En 1858, la lutte contre l’incendie à Munich n’était pas seulement affaire d’équipement ou de logistique : elle relevait d’abord d’une discipline stricte. La Feuerlöschordnung für die Haupt- und Residenzstadt München ne laisse aucun doute : le moindre manquement, la plus petite négligence, peuvent entraîner des sanctions sévères. Dans une ville encore vulnérable aux flammes, l’erreur individuelle est perçue comme un danger collectif.

Ce règlement codifie un véritable système de contrainte, situé à l’intersection de l’ordre civil, de la responsabilité individuelle et d’un idéal de civisme partagé. Les pompiers n’y constituent pas encore une profession autonome, mais leur devoir est prescrit, encadré et surveillé, avec des sanctions révélant une vision rigoureuse de l’engagement public.

Une échelle de sanctions clairement établie

La section IV de l’ordonnance (paragraphes 21 à 22) définit un catalogue précis d’infractions et de peines associées :

  • Oublier de remplir les tonneaux d’eau (obligation §7) : 3 florins d’amende
  • Ne pas signaler immédiatement un feu (§11), même s’il est maîtrisé : jusqu’à 25 florins d’amende ou 8 jours d’arrestation
  • Refuser l’accès de son logement pour inspection (§12) : 10 florins ou 3 jours de prison, avec possibilité d’ouverture forcée du domicile
  • Ne pas envoyer ses chevaux réquisitionnés (§14), ou le faire avec retard : jusqu’à 25 florins
  • Brasseurs et distillateurs négligents (§16), en cas de non apport de tonneau d’eau ou d’eau chaude pendant l’incendie : jusqu’à 25 florins
  • Absence de lumières aux fenêtres proches du feu (§21) : 3 florins
  • Défaut de préparation du logement (§22) : ne pas fermer les ouvertures exposées, ne pas préparer de l’eau : 10 florins ou 8 jours d’arrestation

Ces montants doivent être replacés dans leur contexte : un ouvrier gagne alors environ 1 florin par jour. Une amende de 10 ou 25 florins représente donc une sanction fortement dissuasive, surtout lorsqu’elle est doublée d’un risque d’emprisonnement.

Les contrevenants : pas seulement les pompiers

L’ordonnance ne s’adresse pas exclusivement aux pompiers ou aux agents municipaux. Elle engage l’ensemble des citoyens :

  • Les propriétaires doivent signaler tout départ de feu, même éteint
  • Les voisins doivent participer à l’alerte
  • Les habitants proches doivent préparer leur logement
  • Les veilleurs de tours sont surveillés par des dispositifs spécifiques (télégraphe, horloges de contrôle, inspections)

Même les volontaires spontanés doivent se soumettre à l’autorité en place. S’ils ne respectent pas les ordres, ils peuvent être rappelés à l’ordre ou expulsés immédiatement du périmètre d’intervention (§28).

L’autorité : un équilibre entre civil et militaire

Le Polizeidirektor royal exerce l’autorité suprême en cas d’incendie (§36). Il peut :

  • Donner des ordres à tous les intervenants (ouvriers, artisans, chefs de service)
  • Réquisitionner des civils
  • Mobiliser la Stadtkommandantschaft (commandement militaire), qui délègue un officier pour encadrer les renforts

Les militaires — notamment les tambours et clairons — jouent un rôle dans l’alerte, le contrôle du périmètre, et la sécurisation des biens évacués. Leur présence armée donne à chaque incendie une dimension publique et solennelle. La lutte contre le feu devient un acte civique hautement surveillé.

Le devoir comme principe organisateur

Au-delà de la répression, le texte traduit une vision morale de la ville :

  • Chaque habitant est responsable du bien commun
  • L’incendie est un fléau public, auquel chacun doit répondre
  • L’inaction est considérée comme une faute civique

Ce cadre fait du devoir la clé de voûte du dispositif, bien avant l’apparition de notions contemporaines comme le contrat de travail ou la fiche de poste. Pompiers, brasseurs, meuniers, habitants : tous sont astreints à la vigilance et à l’obéissance, sous peine d’amende ou de sanction sociale.

La discipline comme signe de proto-professionnalisation

Les exigences posées par l’ordonnance — ponctualité, entretien du matériel, signalement, obéissance — indiquent qu’une culture professionnelle est en train d’émerger. On y lit déjà :

  • L’idée d’une présence continue
  • L’importance de la précision et de la coordination
  • L’usage de l’inspection et du compte rendu
  • La punition comme moyen pédagogique

À travers ce régime disciplinaire, la figure du pompier commence à se détacher du simple citoyen engagé pour devenir un acteur spécialisé, responsabilisé et surveillé — en somme, un professionnel en devenir.

Prochain article : Fanfares et gratifications — quand le courage est récompensé

Après la sévérité, la reconnaissance. Le prochain article s’intéressera aux gratifications accordées aux pompiers les plus méritants : premier seau d’eau, sauvetage périlleux, bravoure exemplaire… L’émergence du pompier-héros au XIXe siècle n’est pas qu’un mythe : elle s’ancre dans des pratiques concrètes de valorisation.

Nicolas Folio est doctorant à l’Université Paris Nanterre, sous la direction de Mme Pascale Cohen-Avenel. Sa recherche doctorale, centrée sur l’évolution de l’identité et du rôle des pompiers en Bavière au XIXe siècle, adopte une approche interdisciplinaire mêlant histoire, sociologie, science politique et études culturelles. Ancien officier de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, aujourd’hui chef d’un centre de secours à La Réunion, il met en regard ses connaissances empiriques et ses travaux historiques pour mieux comprendre les enjeux contemporains de l’engagement, de l’institutionnalisation et des représentations professionnelles dans les services de secours. Il publie régulièrement des articles sur son site personnel et sur les réseaux sociaux, et partage ses ressources avec la communauté scientifique.

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