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Récompenser le courage en 1858 : entre reconnaissance civique et incitation matérielle

À Munich en 1858, celui qui se précipite vers les flammes avec un seau d’eau ne le fait pas uniquement par bravoure ou sens du devoir. Il agit aussi dans le cadre d’un système institutionnalisé de récompenses. La Feuerlöschordnung für die Haupt- und Residenzstadt München ne se contente pas de définir interdictions et obligations : elle instaure une culture de la reconnaissance, dans laquelle les gestes utiles, efficaces ou courageux peuvent être publiquement salués et matériellement récompensés.

Le premier tonneau d’eau : cinq florins

L’article 43 est explicite : le premier citoyen qui amène un tonneau d’eau sur les lieux d’un incendie reçoit cinq florins. Le second en obtient deux.

« Wer das erste Faß Wasser zur Brandstätte bringt, empfängt eine Belohnung von fünf Gulden, und für das zweite Faß wird eine Belohnung von zwei Gulden verabreicht. » (§43)

Dans une société où un ouvrier qualifié gagne environ un florin par jour, ces montants représentent une incitation substantielle. La récompense est versée par la caisse municipale : elle est donc prévue, budgétée, encadrée par l’institution. Le courage devient un fait économique, pas seulement moral.

Actes héroïques : reconnaissance individuelle et publique

Le même article prévoit qu’un individu qui s’illustre de manière exceptionnelle peut recevoir une gratification spéciale :

« Wer sich bei der Löschung und Unterdrückung eines Brandes durch vorzügliche, mit Muth, Entschlossenheit und Lebensgefahr geleistete nützliche Dienste auszeichnet […] hat dafür eine angemessene Belohnung aus öffentlichen oder Gemeindemitteln zu erwarten. »

Trois critères sont requis : Muth (courage), Entschlossenheit (détermination) et Lebensgefahr (prise de risque). La récompense peut prendre la forme d’une somme d’argent, éventuellement d’un avancement ou d’une mention officielle, bien que l’ordonnance ne précise pas les modalités exactes. L’essentiel est que l’administration s’engage à reconnaître ces actes utiles, à la fois pour renforcer le civisme et entretenir l’efficacité du système de secours.

Le soin aux blessés : reconnaissance discrète

La reconnaissance ne passe pas toujours par l’argent. Toute personne blessée lors d’une intervention, qu’elle soit ouvrier, volontaire ou soldat, a droit à une prise en charge médicale aux frais de la commune :

« Die bei der Hilfeleistung zum Löschen eines Brandes Beschädigten erhalten die nötige erste Hilfe und Verpflegung auf Kosten der Gemeinde. »

Ce principe témoigne d’un esprit de solidarité urbaine. Il valorise les actes de bravoure par un soutien concret, renforçant l’idée d’une communauté soudée autour du risque.

Une reconnaissance méritocratique à la bavaroise

En 1858, la culture bavaroise reste imprégnée de l’éthique de l’État monarchique et du respect du mérite. L’ordonnance reflète cette culture en valorisant les gestes efficaces, sans emphase ni mise en scène. Pas de médailles : de l’argent. Pas de rhétorique creuse : des critères concrets. Pas de promesses floues : un financement identifié.

Cette reconnaissance repose sur une conception civique du héros. Il n’est pas un surhomme, mais un citoyen exemplaire, modeste, rapide, compétent. Le mérite l’emporte sur le panache.

Le pompier-héros : naissance d’une figure

En valorisant les actes utiles et courageux, la ville contribue à façonner une image du pompier comme figure héroïque. En 1858, il n’existe pas encore de corps professionnel pleinement établi. Mais la Feuerlöschordnung esquisse déjà les contours d’une reconnaissance publique.

Le pompier professionnel, salarié de la ville, est tenu à l’exemplarité. Le volontaire, l’ouvrier, le citoyen, peuvent eux aussi être honorés pour leur action. Ces distinctions créent une figure civique commune : celle du pompier-héros, à la frontière entre la norme administrative et l’exception morale.

Il s’agit d’une construction sociale lente, mais déterminante, qui associe la discipline de l’agent public à l’engagement du sauveteur.

Prochain article : maintenir l’ordre autour de l’incendie

La suite de cette série portera sur un autre aspect fondamental de la lutte contre le feu : la gestion de l’espace, de la foule, des pillages, et de la sécurité autour du sinistre. Un défi à la fois logistique, tactique et symbolique, dans le théâtre urbain de l’incendie.

Nicolas Folio est doctorant à l’Université Paris Nanterre, sous la direction de Mme Pascale Cohen-Avenel. Sa recherche doctorale, centrée sur l’évolution de l’identité et du rôle des pompiers en Bavière au XIXe siècle, adopte une approche interdisciplinaire mêlant histoire, sociologie, science politique et études culturelles. Ancien officier de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, aujourd’hui chef d’un centre de secours à La Réunion, il met en regard ses connaissances empiriques et ses travaux historiques pour mieux comprendre les enjeux contemporains de l’engagement, de l’institutionnalisation et des représentations professionnelles dans les services de secours. Il publie régulièrement des articles sur son site personnel et sur les réseaux sociaux, et partage ses ressources avec la communauté scientifique.

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